Alors que chaque jour les foyers français, les artisans et commerçants, les petites et grandes entreprises, les associations, les collectivités territoriales, les entreprises publiques nationales et locales n’ont de cesse de s’inquiéter sur le devenir de leurs factures d’électricité actuelles ou futures qui atteignent des sommets inacceptables économiquement et socialement, il faut essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Petit rappel historique :
En France, depuis 1946, à la suite du vote de la loi n° 46-628 sur la nationalisation de l’électricité, l’électricité est un service public principalement assuré par un quasi-monopole d’Électricité de France (EDF), entité détenue à plus de 80 % par l’État français.
Par ses directives successives de 1996, 2003 et enfin 2009 l’Union européenne à organiser l’unification du marché intérieur européen de l’électricité.
Conformément aux directives européennes le marché de l’électricité français s’est progressivement ouvert à la concurrence,
La loi du 10 février 2000 notamment a créé la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une autorité administrative indépendante « chargée de concourir au bon fonctionnement du marché de l’énergie (gaz et électricité au bénéfice du consommateur final, suivant les objectifs de la politique énergétique, et d’arbitrer les différends entre les utilisateurs et les divers exploitants. Elle s’assure aussi de la concurrence entre les fournisseurs d’énergie au profit des consommateurs, veille à ce que les consommateurs obtiennent le meilleur service et paient le juste prix, et participe à la construction du marché intérieur européen de l’énergie »
Un beau programme aux résultats hélas beaucoup moins réjouissants pour les consommateurs.
Essayons d’en comprendre les raisons :
1°) La mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) :
Selon Pierre GADONNEIX, Président Directeur d’EDF de 2004 à 2009, l’ARENH, entré en vigueur le 1er juillet 2011 en application de la loi portant Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité (NOME), est une « monstruosité ».
L’ARENH a fait que « La situation [de l’entreprise] s’est dégradée parce que l’histoire de l’ARENH, cette pilule empoisonnée, a très sérieusement remis en cause le business model d’EDF, qui n’avait plus les moyens de faire des investissements non immédiatement rentables ».
Comment aurait-il pu en être autrement dès l’heure que l’on imposait à EDF de répartir entre les fournisseurs alternatifs 100 TWh provenant de ses centrales nucléaires, soit 20% de sa production annuelle, afin qu’ils puissent proposer des offres concurrentielles par rapport aux tarifs règlementés de vente aux clients résidentiels et petits professionnels.
Henri PROGLIO, PDG d’EDF de 2009 à 2014, n’est pas plus tendre pour ce dispositif qui a « fait la fortune des traders »
« Le principe même pour un industriel d’accepter de céder sa propre production à ses concurrents virtuels, qui n’ont aucune obligation de production eux-mêmes, c’est quand même surréaliste »
Le prix de ces 100TWh est fixé chaque année par arrêté ministériel en tenant compte de quatre éléments :
- la rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l’activité ;
- les coûts d’exploitation ;
- les coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l’extension de la durée de l’autorisation d’exploitation ;
- les coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d’installations nucléaires de base.
Le prix fixé en 2011 à 42 €/MWh n’a pas évolué depuis. Jean-Bernard LÉVY, PDG d’EDF de 2014 à 2022, estime ce prix, fixé par « voie autoritaire » selon PROGLIO, « manifestement sous-évalué ». Pire encore, quand le prix du mégawattheure sur le marché de gros européen est passé sous les 42 euros, « dans les derniers mois de l’année 2015, les concurrents d’EDF ont cessé de lui acheter de l’électricité, puisqu’ils pouvaient acheter sur le marché à un prix inférieur. Résultat, en 2016 et 2017, EDF s’est retrouvée avec des recettes très inférieures : EDF est en somme une deuxième fois victime de l’ARENH »
Et d’ajouter « Ce manque à gagner [a] contraint EDF à un plan de restructuration sévère qui, de fait, [a été] imposé par les agences de notation qui [ont dégradé] à trois reprises la dette d’EDF. C’est à ce moment-là que l’État a décidé de venir en aide à l’entreprise, en renonçant pour la première fois aux dividendes d’EDF payés cash et en souscrivant à hauteur de 3 milliards d’euros à une augmentation de capital ».
Pour lui « le mécanisme pernicieux de l’ARENH va croissant sur l’endettement d’EDF au rythme d’environ 3 à 4 milliards d’euros chaque année »
Résultat EDF n’a plus les moyens financiers nécessaires pour investir pour le maintien de ces équipements de production et leurs développements.
« Des concurrents d’EDF, l’ARENH a fait des rentiers tous les risques sont portés par EDF. Cela n’a pas incité les concurrents de l’entreprise publique française à créer des capacités de production propres : L’ARENH a donc mis un frein au développement d’une capacité énergétique souveraine sur notre sol par les opérateurs alternatifs ».
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Pour Pierre GADONNEIX et Henri PROGLIO l’Union Européenne et l’Allemagne sont les responsables de cette situation.
Selon Pierre GADONNEIX « Le pouvoir politique allemand était très conscient que la France avait un avantage particulier avec les prix de l’électricité bas » Aussi pour protéger l’industrie allemande « Bruxelles a introduit des pilules empoisonnées pour empêcher EDF de s’imposer sur le marché ».
Pour Henri PROGLIO, « l’obsession allemande depuis 30 ans c’est la désintégration d’EDF. Ils ont réussi »
2°) L’indexation du prix de l’électricité sur le gaz :
La prédominance allemande en Europe a même eu d’autres conséquences encore plus néfastes sur le prix de l’électricité.
Selon Henri PROGLIO : « Le prix de marché a été indexé sur le gaz (…) parce que les Allemands utilisent le gaz. Toute réglementation européenne est une réglementation allemande ».
Mais l’essentiel du problème ne réside même là il est encore plus aberrant que cela.
Si depuis le début de l’année 2022 le prix du gaz a pour toute une série de raisons géopolitiques subit une envolée spectaculaire de 60 % cela n’explique pas la flambée des prix de l’électricité.
En effet la part du gaz et du pétrole dans la production électrique française n’est que 7% et de l’ordre de 20% en Europe. De plus le prix de l’électricité produite avec le gaz ou le pétrole intégrant aussi le coût de la construction des installations on estime que le coût du combustible n’intervient que pour moins de 10% du coût final de production de l’électricité qui dépend du gaz en Europe.
Donc ce n’est pas l’augmentation spectaculaire du prix du gaz, ni la demande d’électricité qui est restée stable qui justifient la flambée du prix de l’électricité.
Le Prix de l’électricité a flambé uniquement à cause du mécanisme du marché de l’électricité mis en place par l’Union Européenne.
Comparativement, si la France était restée dans le système des tarifs réglementés qui existait du temps de l’entreprise public, le prix n’aurait pas évolué ou quasiment pas puisque les coûts n’ont pas évolué en globalité. D’autant qu’aujourd’hui l’ARENH permet aux acteurs de marché de couvrir une partie de leur coût à un prix fixe régulé.
3°) Examinons les mécanismes du marché européen de l’électricité :
- Premier principe : pour effacer la concurrence entre États : on gomme les « mix-énergétiques régionaux » en calant les prix de gros des marchés de l’énergie sur les coûts marginaux.
C’est-à-dire qu’à chaque instant le prix de marché est égal au coût de production de la centrale la plus chère de tout le réseau interconnecté européen, et ce même si la part de production de cette centrale représente une part infime de la production totale, car ce mécanisme de formation des prix de gros est indépendant des quantités produites.
- Deuxième principe : la préséance économique.
Elle consiste à démarrer les centrales de production de la moins chère à la plus chère au fur et à mesure que la demande augmente et à rémunérer l’électricité produite à un instant T au prix de la dernière centrale appelée à fonctionner pour garantir l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité et équilibrer la tension sur le réseau à 50 Hz
- Troisième principe : le mètre étalon des prix de gros de l’électricité est le coût marginal de production.
Ce prix, qui dépend non pas du prix moyen de l’électricité produite mais du prix de la dernière centrale marginale appelée à fonctionner, est applicable à toutes les centrales en production à ce moment-là, quelle que soit leur part relative dans la production du parc installé.
Autrement dit, si une centrale gaz fournit 1% de l’électricité du réseau interconnecté le coût de production de cette centrale sera appliqué à 100% de cette électricité sur le marché de gros.
Donc en cas de forte tension en Europe sur la demande en électricité, c’est-à-dire en cas de mobilisation des centrales de production de pointe, le prix résultant sur le marché de gros sera bien supérieur à la valeur moyenne de la production au même moment.
En conclusion, si le prix du gaz flambe sur les marchés du gaz, par effet de ricochet : dès qu’une centrale à gaz est appelée en production, son coût de production s’applique mécaniquement à l’ensemble de l’électricité produite sur le réseau interconnecté européen, même si cette électricité est globalement produite à partir de barrages hydrauliques ou de centrales nucléaires dont les coûts sont bien plus faibles et quasiment stables.En conséquence, le prix de gros de l’énergie ne reflète plus ainsi le mix énergétique de chaque pays et donc les choix politiques structurants du parc de production.
Ce qui pénalise énormément la France et son parc de centrales nucléaires et de barrages hydrauliques.
- Quatrième principe : le CO2 entre dans l’équation du coût marginal de production des centrales gaz.
Une petite contrainte supplémentaire pour la route, le prix du CO2 qui s’applique à la production électrique des centrales fossiles et donc aux centrales à gaz vient surenchérir le prix de production de celles-ci et par effet mécanique l’ensemble de la production électrique qu’elle soit d’origine nucléaire, hydraulique éolienne ou photovoltaïque.
UBU ROI n’aurait pas fait mieux, les technocrates de BRUXELLES sont vraiment très forts !
Dommage que ce soient les consommateurs finaux qui en fassent les frais au prix fort mettant à mal la pérennité de nombre d’acteurs économiques petits ou grands.
Le bouclier tarifaire mis en place en septembre 2021 pour limiter à 4% la hausse moyenne des Tarifs réglementés de vente (TRV) ne s’applique en effet qu’aux clients résidentiels et représente déjà un coût pour l’État de 14 milliards d’euros sur 2021-2022.
Il devient donc extrêmement urgent que nos responsables politiques prennent à bras le corps ce dossier brûlant et déterminent premièrement quelle politique énergétique doit être menée en France et deuxièmement comment faire évoluer la vision ultralibérale de l’Union Européenne dans ce domaine crucial pour le bien-être des peuples européens et de leurs économies.
Cette analyse n’ayant aucunement la prétention de détenir la vérité, je ne saurais trop vous inviter à cliquer sur le lien ci-dessous qui vous donnera accès à des articles très documentés de La Chaîne Parlementaires (LCP) qui vous permettront de mieux comprendre pourquoi avec l’aide néfaste de la Commission européenne on en est arrivé là.
Tout bon Géographe aime se référer à des cartes aussi je vous invite à porter votre attention sur cette très instructive carte mondiale présentant l’impact sur le climat par zone de l’intensité carbone de l’électricité consommée en gCO2eq/kWh. Elle parle d’elle-même et vient, en appui objectif, confirmer la nécessité revoir la politique énergétique de l’Union Européenne.
Si le sujet vous passionne ou si vous voulez tout simplement comprendre tous les tenants et aboutissements du problème d’autres articles vous attendront sur le site LCP et sur le Net.
Jean-Pierre COTTAZ